L'Homélie du Père Gilles Séménou pour les funérailles de l'abbé Jean Baque
Publié le 11/06/2022Jésus a dans l'évangile des façons singulières pour féliciter ou pour encourager ses collaborateurs. Alors qu’il reconnaît avec admiration la foi de certains païens et qu’il la donne même en exemple – pensons à la cananéenne – il n’hésite pas à taxer les disciples de « gens de peu de foi ». Drôle de façon de les stimuler ! Il en va de même dans le texte d’évangile que nous venons d’entendre où il déclare que ceux qui ont accompli leur mission, auront toujours à se dire : « nous sommes de simples serviteurs. » Bien sûr ces paroles ne sont pas à isoler d’autres propos du Christ, en particulier du grand discours après la Cène qui nous accompagné durant le temps de Pâques ! On ne peut pas douter en le lisant de la sollicitude, de la douceur, de la tendresse même de Jésus à l'égard des siens. Et ce ne sont pas là de simples mots, car l'acte qui les a précédés est grandiose : c'est le Maître qui s'est mis à genoux pour laver les pieds de ses serviteurs. Et pourtant, c'est ce même Maître qui leur déclare : « Quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : « Nous sommes de simples serviteurs. »
Pourquoi rappeler ce passage d'évangile, alors que nous sommes réunis pour accompagner de notre prière l'abbé Jean Baque ? Peut-être parce que la vie du simple prêtre, du prêtre simple, que nous avons côtoyé, fait écho à l’appel du Christ à se situer toujours comme de simples serviteurs. Mais cette expression s’éclaire par le deuxième segment de la phrase, selon la façon très biblique de dire les choses deux fois : « nous n’avons fait que notre devoir ».
« Nous n’avons fait que notre devoir ». C’est en ce sens que ces serviteurs sont dits de « simples serviteurs », des serviteurs ordinaires. Et c’est justement cette référence au travail accompli par fidélité qui donne à ce mot « simple » toute sa noblesse, car il n’y a dans les mots de Jésus rien, absolument rien, qui déprécie le travail accompli, le travail ordinaire du serviteur. Au contraire, dans ces mots « dites : nous sommes de simples serviteurs », Jésus, paradoxalement, fait l’éloge même de ces serviteurs. Et même si on traduit le mot, comme on le faisait autrefois, par « nous sommes des serviteurs inutiles », cela ne signifie pas ‘nous sommes des nuls’, mais ‘nous sommes des gens dont la valeur vient de l’ordinaire, de la simplicité, du commun de la tâche qui nous a été assignée et que nous accomplissons par fidélité, et on pourrait même dire, par devoir, avec le sens du devoir, sans recherche du grandiose et encore moins en vue de quelque reconnaissance posthume.’
L’abbé Jean Baque, dans sa vie de prêtre, a été associé à cet ordinaire dont Jésus fait l’éloge derrière une expression à première vue paradoxale, celle de « serviteur inutile » quand on la traduit littéralement. L’abbé Baque fut un homme de devoir, un homme du souci de la fidélité au quotidien. Lui qui avait, sinon parcouru le monde, du moins servi l’Eglise en des endroits divers du monde, n’aimait pas se raconter. Il laissait cependant entrevoir combien le ministère accompli en Afrique du Nord, puis en Argentine, avait été pour lui une grâce, ainsi que dans notre « pampa » diocésaine que nous appelons les Corbières. A Rieunette, il avait trouvé l’accueil qui pût satisfaire un penchant érémitique et son orientation pour la prière, dans ce lieu placé sous le patronage de Marie. Etait-ce la timidité, était-ce la réserve, qui faisait que parfois il pouvait paraître à certains un peu rigoureux ? Sans doute, mais aussi la minutie dans son souci qui l’habitait de fidélité à l’enseignement de l’Eglise. Il tenait à éviter tout écart par rapport à ce que son Magistère lui avait donné mission d’accomplir. Il incarnait cela par l’austérité de sa vie et, à la fois, par l’ouverture à la miséricorde, dans la mission de consolation remise entre ses mains, notamment dans l’exercice du sacrement du pardon.
« Nous sommes de simples serviteurs ». On pourrait même traduire, des serviteurs ordinaires. Et c’est justement alors que recommence le temps dit ordinaire de l’Eglise que nous célébrons les funérailles de l’abbé Jean Baque. Pourtant - est-ce un clin d’œil de Dieu ? - il s’en est allé vers son Seigneur un jour avant que ne commence ce temps ordinaire, au petit matin de la Pentecôte, comme pour signifier que dans la simplicité, dans l’ordinaire, dans le commun d’une vie de prêtre, un souffle le traversait, une source jaillissait : sans éclairs, sans ouragan, sans trombes d’eau, comme Elie sur la montagne, en présence de la brise légère, avant qu’il ne soit emporté ensuite jusqu’au trône de Dieu. Père Jean, nous prions pour que le Christ vous emporte à votre tour dans ce tourbillon de lumière, jusque dans les mains de Dieu.