Célébration de Saint Vincent à Talairan-Homélie de Mgr Bruno Valentin — Diocèse de Carcassonne & Narbonne

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Célébration de Saint Vincent à Talairan-Homélie de Mgr Bruno Valentin

Publié le 19/01/2025
La vigne et le vin sont un signe privilégié de joie.... Ce sont des métiers nobles, admirés par Dieu lui-même, car ils sont des serviteurs de la joie.

(Jn 2, 1-11) – Les Noces de Cana

Voilà probablement la page d’Évangile la plus directement destinée aux habitants des Corbières. Comment, en effet, ne pas nous sentir comme à la maison devant cette scène qui constitue la première manifestation viticole connue de l’histoire ? Ce n’est pas moi qui le dis, c’est saint Jean : à Cana de Galilée, « Jésus manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui ». Il y a tous les ingrédients dans ce miracle de Jésus pour que nous, les Audois, et particulièrement ceux qui vivent dans le secteur des Corbières, nous nous sentions concernés par ce geste de Jésus. Il est à la fois un geste de vin et un geste d’eau, vous l’avez entendu. Le miracle se situe à la jonction entre l’eau et le vin, un miracle qui, ici dans les Corbières, nous semble chaque année un peu plus fragile. Oui, vraiment, ce miracle est pour nous. Alors, essayons ce matin d’en recueillir quelques leçons, d’en percevoir au fond ce qu’il peut avoir à nous dire en termes d’encouragement et d’espérance pour nous aujourd’hui, et particulièrement pour ceux et celles parmi nous, autour de nous, ou que nous connaissons, qui vivent aujourd’hui des différents métiers de la vigne.

Pour cela, et afin de ne pas être trop long, je vous proposerai simplement que nous consacrions trois brefs coups d’œil à trois des protagonistes principaux de cette histoire : les cruches, Jésus et Marie. Et il faut commencer par les cruches, parce qu’elles sont bien les personnages centraux de ce miracle, au sens littéral du terme. Déjà, si vous prenez le récit tel qu’il a été construit par saint Jean et que vous en cherchez le milieu, vous tombez sur les jarres de pierre. Elles sont le personnage central de l’histoire. Ce n’est quand même pas banal, et bien sûr, cela ne doit rien au hasard. Saint Jean veut que nous portions d’abord notre regard sur ces jarres : 100 litres chacune, 600 litres au total. C’est quand même considérable, même pour des bons vivants. 600 litres de vin, il y a de quoi faire la fête un moment ! Alors, il faut rappeler que les fêtes de mariage, à l’époque de Jésus, duraient huit jours. C’étaient des fêtes qui rassemblaient la communauté sur une semaine entière. Mais quand même, 600 litres, c’est beaucoup. À travers ces détails de quantité comme de qualité, que souligne le maître du repas en intervenant à la fin pour dire : « Mais c’est curieux, tu nous sers le meilleur vin à la fin ! », saint Jean veut nous dire une chose : la surabondance. Une surabondance quantitative et qualitative, liée à ce geste de Jésus de transformer l’eau en vin. Jésus a répondu à un manque avec surabondance, à profusion. Mais alors, manque de quoi ? Manque de vin, certes, mais qu’est-ce qui justifie, dans ce manque de vin, que Jésus ait accepté d’en faire son premier miracle, son premier geste public ? Qu’est-ce qui est en jeu dans ce vin manquant ?

C’est important d’en prendre conscience, parce que je crois qu’à cette première question s’attache déjà une compréhension essentielle du regard que nous, aujourd’hui encore, nous pouvons porter sur le fruit de la vigne et sur celles et ceux qui travaillent à faire porter son fruit à la vigne. Reprenons conscience que, dans la Bible, la vigne et le vin sont un signe privilégié de joie. Ce n’est pas l’amour des époux qui risque de s’épuiser avec le vin, car chacun d’entre nous sait bien qu’un couple dont l’amour est alimenté par le vin ne va pas bien loin. Ce n’est pas tant l’amour qui est symbolisé dans les noces de Cana par ce monde de vin que la joie, la joie des noces. C’est au secours d’un épuisement de la joie que se porte Jésus par ce miracle de Cana. Et si je veux souligner ce premier sens, c’est parce que c’est là, me semble-t-il, aujourd’hui encore, la noblesse qu’il faut accorder au métier de la vigne et du vin, en les reconnaissant comme le fait la Bible, en les reconnaissant comme le fait Dieu lui-même, comme des serviteurs de la joie. Des serviteurs de la joie pour celles et ceux pour qui ils travaillent tout au long de l’année. Ce sont des métiers nobles, ce sont des métiers que Dieu lui-même regarde avec admiration, parce que ce sont des serviteurs de la joie. Voilà ce qu’il est bon que nous redécouvrions ensemble en regardant d’abord ces cruches, situées au milieu du récit des noces de Cana.

Et je voudrais aussi que nous regardions la figure de Jésus, qui, de manière peut-être un peu étonnante, semble hésiter un moment à accomplir le geste qui lui est suggéré : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. » Que nous dit cette réticence apparente de Jésus, ce mouvement de recul qu’il semble vouloir prendre par rapport au geste qui lui est demandé ? Jésus signifie, de cette manière, comme il l’exprime très clairement par cette phrase, qu’au fond, nous n’en sommes encore qu’aux prémices, que le récit des noces de Cana n’a valeur que de sommet de l’Évangile, de bande-annonce de ce qui va suivre. La bande-annonce, ce n’est pas tout le film, et en même temps, c’est suffisant pour savoir ce qui est en jeu dans le film. Et bien, c’est le cas des noces de Cana, parce qu’il s’agit d’un mariage, parce que Jésus a choisi d’y être présent, et parce qu’il accepte d’en faire le cadre de son premier miracle. Jésus signifie déjà, au fond, pourquoi il est là : à quoi va servir sa vie sur la terre ? À travailler à l’union entre Dieu et les hommes, à reconstruire cette union envers et contre tout ce qui l’a détruit : le mal, la division, le péché et la mort. C’est pour cela que, dans un mariage, Jésus donne le signe de sa mission d’union de Dieu avec les hommes et des hommes entre eux. Et bien sûr, cette mission, qui va ensuite se déployer pendant trois ans de vie publique, culminera lorsque, pour cette union, Jésus donnera sa vie sur la croix. Et il scellera, au fond, l’aboutissement de sa mission en recourant à nouveau au vin, en prenant le vin pour en faire le signe réel de sa présence, de sa vie donnée, comme nous allons le refaire nous aussi ce matin en célébrant l’Eucharistie : « Il prit la coupe de vin, il la bénit et dit à ses disciples : Prenez, buvez-en tous, ceci est mon sang. » Au fond, Jésus, à Cana, veut nous signifier pourquoi il est venu, pourquoi il veut donner sa vie pour nous : pour travailler à l’union de chacun d’entre nous avec Dieu, et à l’union entre nous.

Et enfin, jetons un regard sur la Vierge Marie, actrice évidemment indispensable du miracle de Cana, puisque c’est elle, d’abord, qui est la première invitée. Saint Jean nous l’a précisé : « Marie était là. Jésus aussi avait été invité au mariage. » Mais surtout, parce que c’est elle, je l’ai déjà dit, qui pousse Jésus à l’action lorsqu’elle dit à Jésus : « Ils n’ont pas de vin. » Le rôle de Marie, là, est sobre, discret, mais décisif. Il consiste en deux attitudes fondamentales : l’intercession et l’encouragement. Marie intercède pour les mariés et leurs invités auprès de Jésus : « Ils n’ont pas de vin. » Notez qu’elle ne demande pas de miracle particulier à Jésus, elle ne lui dit pas ce qu’il doit faire. Elle lui présente une situation. C’est tout à fait caractéristique de la manière de faire de Marie : présenter à Jésus les situations que nous lui confions, avec la confiance de l’action que Jésus fera. Cette confiance, Marie s’efforce de la transmettre aux serviteurs : « Faites tout ce qu’il vous dira. » Notons-le : avec l’autorité de celle qui ne se contente pas de quelques belles paroles, mais qui prêche par l’exemple. Si Marie peut être celle qui dit : « Faites tout ce qu’il vous dira », c’est parce qu’elle est celle qui, d’abord, a répondu à Dieu : « Que tout se fasse pour moi selon ta parole. » Elle a fait la première ce que Dieu lui disait, et c’est pourquoi elle peut, avec autant de force et de conviction, encourager les serviteurs à la confiance.

Chers amis, je crois que Marie, ce matin, nous dit la même chose. Elle nous encourage simplement dans la confiance, à présenter à Jésus nos vies avec tout ce qui nous inquiète, avec tous leurs manques, avec, en particulier, tous les manques de perspectives qui peuvent caractériser aujourd’hui notre vie et la vie des professionnels de la vigne et du vin dans les Corbières. Où allons-nous ? À quoi ressemblera demain ? Pourrons-nous seulement encore vivre de ces métiers ? Quels seront simplement les paysages de nos Corbières dans cinq ans, dans dix ans, avec le changement climatique, avec la crise des marchés, avec les difficultés que nous connaissons ? Tant de questions, tant d’incertitudes. Que la Vierge Marie nous encourage simplement ce matin à remettre à Jésus, avec confiance. Il est le maître de l’impossible. Il est celui qui est capable de faire jaillir la vie là où il semblait qu’il n’y avait plus que sécheresse et désert. Alors, chers amis, que l’intercession de la Vierge Marie et de saint Vincent nous fortifie simplement dans la confiance, lors de cette célébration de ce matin.

Amen.

Homélie de Mgr Bruno Valentin pour la célébration de Saint Vincent, Saint Patron des Vignerons,  Talairan le 19 Janvier 2025 

source: https://www.youtube.com/watch?v=3tUc0gttf9c