Méditation de l'Évangile du 1er Dimanche de Carême - Abbé Bernard DUMEC
Publié le 24/02/2023Que Jésus ait fait « une retraite » au désert, peut être historiquement plausible et admis. En ce sens, Marc est sans doute plus proche de la réalité, car il ne donne aucun détail sur ce qui s’est passé, et pour cause, personne n’était là ! Ce qui veut dire que le récit des tentations est une composition théologique pour donner un enseignement. Le récit étant chez Mt et Lc, cela signifie qu’il était déjà dans le Doc. Source. Donc, très tôt, ce passage au désert a été relu à l’aune de Pâques où le résurrection de Jésus manifeste sa victoire sur les forces du Mal. En mettant cette scène dès le début les évangélistes veulent annoncer cette victoire.
Après le désert et la tentation de la folie matérialiste, après le temple et la tentation de la folie religieuse, voici, sur la très haute montagne, le monde et la folie politique. Comme Moïse avait aperçu la Terre promise depuis le mont Nébo, Jésus, le nouveau Moïse aux yeux de Mt, voit cette fois, le monde entier. Vue panoramique qui alimente l’idée d’un empire, pourquoi pas universel. Le rédacteur reprend ici la promesse faite au fils de Dieu dans le psaume 2, : Tu es mon fils… demande-moi et je te donne en héritage les nations, pour domaine la terre entière. Dans le combat d’interprètes entre Jésus et le diable, qui donne du piquant au récit, le diviseur pousse Jésus à prendre toujours à la lettre, la parole de Dieu. Pour ceux qui attendaient le royaume universel du Messie, la réponse est claire : il faut y renoncer ! Le christianisme dénonce ici la folie des puissants susceptibles de toutes les compromissions et de toutes les idolâtries au nom de la passion de dominer les autres. La voix de la division intérieure propose pour cela que l’on se prosterne devant un autre que Dieu. L’arme de Jésus est encore le Décalogue, en son précepte central : tu n’adoreras que Dieu seul.
Dans cette joute concise, littéraire, élaborée, qui ressort de ce récit, c’est tout le champ de l’activité humaine qui est envisagé, le rapport à l’économie, à la religion, à la politique. Le chemin ici ouvert est le chemin de la liberté intérieure des enfants de Dieu qu’aucun mirage ne saurait fasciner : ni celui de l’abondance des biens qui ferait oublier le manque, ni celui du déni de la souffrance et de la mort, ni celui de la diabolique ambition d’un être humain de dominer un semblable. La voie, indiquée ici, interdit toute relation de chantage vis-à-vis de Dieu, un chantage qui ferait dire : « Je crois à condition que Dieu intervienne dans ma vie comme je le souhaite ! » C’est en ce sens que dans le christianisme, Jésus sauve du mal : l’être humain est ainsi capable de résister à la tentation de toute-puissance et d’autosuffisance. En face de nous, nous savons qu’il y a l’Autre que nous, irréductible à nos projections : il y a une limite entre le Tout-Autre et chaque être humain, une limite qui libère, celle qu’Adam (qui représente en chacun la personne non convertie) veut sans cesse transgresser !
Abbé Bernard DUMEC