Méditation de l'Évangile du 5eme Dimanche de Carême - Abbé Bernard DUMEC
« Et Jésus pleura. » Décidément, le visage du Dieu des chrétiens n’en finit pas de nous surprendre. À y regarder de plus près, le Christianisme dans sa forme la plus pure, la plus proche des Evangiles, est, et demeure, une remise en cause fondamentale du comportement religieux commun à l’humanité. Car le sens du sacré, que l’homme s’est donné depuis les temps immémoriaux, lui fait inspirer « crainte », « peur » ou « effroi », et donc distance, face à Dieu.
Or, que nous montrent les évangiles ? Un Dieu qui se fait chair, qui s’invite chez nous comme il s’est invité chez Zachée ; un Dieu qui, tel le bon Samaritain, se fait proche et vient panser nos plaies ; un Dieu qui n’hésite pas à aller vers les malades, à se laisser toucher par eux, comme à les toucher au corps, même s’ils sont lépreux ; un Dieu qui nous prend par la main et nous relève, ... qui embrasse et bénit les enfants.
Un Dieu qui se laisse émouvoir, qui prend pitié de nous et de notre misère humaine, qui est sensible au moindre petit détail humain ! Un Dieu qui, justement, face au sentiment archaïque d’effroi religieux propose la confiance, chasse la peur, bannit la crainte, pour nous faire entrer dans une relation avec lui. Ainsi, comme pour la Samaritaine, il a soif de notre amour ; comme pour l’Aveugle-né, il vient nous guérir de nos aveuglements ; comme pour Marthe et Marie, il vient aux jours d’épreuve ; comme au soir d’Emmaüs, il nous rejoint, marche avec nous, s’invite à notre table ! Et pour nous mener presque au sommet de la Révélation, le voilà qui pleure avec nous !
Avec Jésus tout est bouleversé, la relation à Dieu est totalement transformée : fini cette distance car à présent, chose impensable, nous pouvons oser dire à Dieu : « Abba » (papa chéri) ! Avec Jésus, plus besoin de sacrifices ; avec lui, pas besoin de se mortifier, de se frapper la poitrine pour manifester son repentir ; avec lui, comme pour le fils prodigue, ses bras nous entourent de miséricorde avant même que nous ayons le temps de lui décliner notre misère.
Avec lui, nous sommes couverts de baisers alors que nous nous jugeons bons à rien ou nous méprisons nous-mêmes. Lui ne condamne personne parce qu’il n’a qu’un seul désir : nous aimer, nous aimer, nous aimer … et donc nous sauver. Oui, Dieu nous aime, qui que nous soyons et comme nous sommes aujourd’hui, avec nos tares et nos défauts, avec nos faiblesses, notre mauvais caractère, nos violences, nos révoltes, avec notre péché et même nos perversions. Il nous aime et nous aime en Sauveur !
C’est pourquoi, il vient sans cesse nous faire sortir de nos tombeaux, nous délier de ces bandelettes de mort qui nous tiennent prisonniers de nos enfermements. Nous sommes tous Lazare qui signifie « Que-Dieu-a-secouru » ! Car nous sommes tous enfermés dans des tombeaux, ceux que nous nous construisons ou que les autres construisent pour nous ; enfermés dans les tombeaux de la Religion qui nous tient par des commandements, des règles et des menaces ! Jésus est venu chasser tout cela. Plus surprenant encore, il ne nous promet pas la résurrection pour la fin, mais il est résurrection et vie, aujourd’hui.
Alors, face à Celui qui nous invite à une nouveauté radicale dans nos rapports avec lui, qui nous a déjà ressuscités, qui a fait de nous ses enfants, qui nous ouvre sa maison et nous invite à son « Banquet céleste », face à ce Dieu dont les miséricordes n’arrêteront pas de nous surprendre, une seule attitude possible, un seul culte : une action de grâce qui, d’après le grec, se dit eucharistie !
Abbé Bernard DUMEC